Les actions du secteur de l’énergie ont-elles encore du « carburant dans le réservoir »?
C’est la question que se posent de nombreux investisseurs, alors que le secteur de l’énergie a solidement surpassé tous les autres au cours des deux dernières années. Historiquement, la trajectoire des prix du pétrole a été un bon indicateur des perspectives du secteur, car les prix ont un impact direct sur les résultats de nombreuses entreprises. Mais jusqu’à présent, en 2023, il semble y avoir quelques écarts par rapport à cette corrélation qui a fait ses preuves. En fait, les prix du pétrole ont connu une évolution tumultueuse l’année dernière, revenant récemment à un niveau proche de celui qu’ils avaient atteint en 2022. En revanche, les actions du secteur de l’énergie conservent pour la plupart leurs gains.
Nous pensons que nous sommes au début d’un cycle haussier pluriannuel pour les actions pétrolières. Cela ne signifie pas que le secteur de l’énergie, avec en tête les valeurs pétrolières, évoluera en ligne droite. Parmi les longues tendances haussières, il existe également des mini-cycles, dont certains durent de quelques mois à un an ou plus, au cours desquels les facteurs à court terme l’emportent sur les tendances à long terme de l’offre et de la demande. Néanmoins, nous voyons des occasions d’investissement pour les trois à cinq prochaines années.
La réouverture de la Chine et la levée des restrictions liées a la COVID-19 devraient pousser la demande de pétrole vers de nouveaux sommets, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) prévoyant une augmentation de près de 2 millions de barils par jour. Parallèlement, il existe une pénurie structurelle de l’offre due à de nombreuses années de sous-investissement dans de nouvelles capacités par les entreprises pétrolières, aux réductions de production de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP+), dont la production est inférieure aux objectifs d’approvisionnement, et à la diminution des stocks de schiste aux États-Unis. Il faudra plusieurs années avant que l’offre puisse rattraper la demande. L’ensemble de ces facteurs devrait favoriser un prix du pétrole supérieur à 70 $ US le baril.
L’analyse des précédents marchés haussiers des actions du secteur de l’énergie (nous montrons le Canada, à titre d’exemple, dans le graphique ci-dessous) suggère que nous n’en sommes peut-être qu’aux prémices d’une revalorisation positive du secteur. Soutenues par la hausse des prix de l’énergie, les entreprises du secteur ont généré un flux de trésorerie disponible (FTD) estimé à 1 400 G$ US en 2022, ce qui constitue un record. Les évaluations restent attrayantes pour un certain nombre d’indicateurs, notamment les ratios cours/bénéfice et cours/valeur comptable. Et la résilience des actions pétrolières devant la chute des prix du pétrole au cours des trois derniers mois suggère que les investisseurs ne se préoccupent pas de la faiblesse à court terme du prix des matières premières sous-jacentes.
Les marchés haussiers des actions du secteur de l’énergie ont souvent fait preuve de longévité
Le modèle d’affaires du secteur a largement évolué, passant d’une forte croissance et d’un réinvestissement dans la production à une plus grande distribution de dividendes et à une plus grande discipline en matière de capital. Il s’agit de l’un des changements les plus importants que nous ayons connus au cours de notre vie. Et cette tendance devrait se poursuivre. Les flux de trésorerie records des 12 derniers mois ont permis aux producteurs de pétrole d’afficher des bilans parmi les plus robustes de l’histoire. Selon une étude réalisée en 2022 par Deloitte, près de 40 % des dirigeants des 100 plus grandes entreprises pétrolières et gazières aux États-Unis ont indiqué que la réduction de la dette et le rendement pour les actionnaires constituaient leurs principales priorités en matière d’allocation de capital.
Le raccourcissement et l’accentuation de la courbe des coûts profitent aux producteurs de pétrole
Ce regain d’intérêt pour le rendement des actionnaires s’explique par le fait que les investisseurs exigent une discipline en matière de capital. Les investisseurs qui sont prêts à s’engager maintenant font pression pour obtenir des dividendes et des rachats d’actions plutôt qu’un réinvestissement à des prix plus élevés. Il faudra probablement attendre encore 12 à 18 mois avant de voir les producteurs commencer à réinvestir dans leurs entreprises tout en continuant à se concentrer sur la discipline en matière de capital et le rendement du capital investi.
La dynamique de l’offre et de la demande favorise également une hausse du prix du pétrole. Il faudra des années pour que l’offre rattrape la demande, comme l’illustrent les déficits de production croissants de l’OPEP+ et la diminution prévue de la capacité de réserve mondiale. Parmi les principaux pays producteurs de pétrole, l’Arabie saoudite pourrait augmenter sa capacité d’un million de barils par jour et les Émirats arabes unis d’un million supplémentaire. Mais il faudrait des années pour développer cette capacité, et la production américaine ralentit assez rapidement. Dans l’ensemble, il n’y a tout simplement pas assez de pétrole pour soutenir l’offre mondiale.
De plus, les coûts d’exploration augmentent. Les réserves de pétrole de qualité supérieure ont été épuisées, et la poursuite de l’exploration coûte de plus en plus cher et nécessite une expertise accrue à mesure que les forages s’éloignent. Les entreprises américaines de prospection et de production ne disposent pas de l’expertise nécessaire à la prospection avancée et devront probablement acquérir des entreprises qui savent comment exploiter ces gisements de pétrole afin d’apporter de nouveaux approvisionnements sur le marché. En outre, les coûts des services pétroliers ont augmenté avec l’inflation. L’augmentation de la structure des coûts a un impact sur l’ensemble du secteur, mais elle touchera plus particulièrement les petites entreprises qui disposent de moins d’options en matière de ressources.
En tenant compte de la dynamique de l’offre et de la demande, nous estimons que 70 $ US le baril de pétrole est un plancher qui devrait tenir dans la plupart des scénarios, et notre analyse présente que cela permettrait aux grandes entreprises pétrolières de maintenir leur rentabilité, même en tenant compte de l’inflation et de l’augmentation des coûts de production.
La Loi sur la réduction de l’inflation de 2022 (Inflation Reduction Act) est un texte législatif américain historique. Le projet de loi prévoit un financement fédéral de 369 G$ US pour des incitations fiscales, des prêts et des subventions aux consommateurs et aux entreprises dans le domaine de l’énergie propre, ce qui pourrait rendre plus attrayant le profil de rentabilité des investissements dans des domaines tels que la séquestration du carbone et la mise en place d’une infrastructure de l’hydrogène propre.
Au cours de la prochaine décennie, la législation pourrait contribuer à déclencher une vague de dépenses d’investissement. Les entreprises pétrolières et gazières, les fabricants de produits chimiques et les constructeurs automobiles ne sont que quelques-uns des bénéficiaires potentiels. Seule une poignée de grandes entreprises américaines ont mis en place des projets à faible émission de carbone, mais les subventions prévues par la Loi sur la réduction de l’inflation devraient inciter d’autres entreprises à abandonner leurs projets.
Malgré cet optimisme, il est juste de dire que certaines entreprises avancent avec prudence, conscientes que les priorités politiques pourraient être modifiées en fonction des changements dans l’équilibre du pouvoir politique. L’administration Biden soutient les investissements dans les énergies renouvelables. Toutefois, si les prochaines élections donnent lieu à un changement d’administration ou si les prix de l’énergie deviennent trop élevés, les priorités pourraient facilement revenir en faveur des combustibles fossiles pour aider à réduire les coûts.
Les entreprises pétrolières et gazières, quelle que soit la région, cherchent de nouveaux moyens de réduire les émissions dans le cadre de leurs activités. L’un des principaux moteurs de ce changement de comportement a été la prolifération d’objectifs de carboneutralité, où la quantité d’émissions de gaz à effet de serre produites par l’homme est compensée par une réduction équivalente.
Les entreprises pétrolières et gazières européennes cherchent activement des remplaçants pour leurs activités liées aux combustibles fossiles, tandis que les entreprises américaines se concentrent principalement sur la manière d’éliminer le carbone de leurs activités existantes. Elles misent sur des tactiques telles que la séquestration du carbone, qui consiste à retirer le dioxyde de carbone de l’atmosphère et à le conserver sous forme solide ou liquide, plutôt que de chercher à diversifier leur bouquet énergétique.
Les grands groupes pétroliers européens investissent davantage de capitaux dans des projets à faibles émissions de carbone.
Comme leurs homologues américaines, les entreprises européennes sont encouragées par la nouvelle législation. Le plan REPowerEU, adopté par la Commission européenne en mars 2022, prévoit près de 210 G€ en nouveaux investissements dans les énergies propres au sein de l’Union européenne. Le projet de loi finance de nouveaux partenariats énergétiques avec des fournisseurs de gaz renouvelable et à faible teneur en carbone, ainsi que des projets d’hydrogène propre et des projets d’énergie solaire et éolienne.
Si l’on n’investit pas aujourd’hui dans les infrastructures renouvelables, les entreprises risquent d’être perturbées plus tard. Et il ne s’agit pas seulement de préoccupations environnementales, sociales et de gouvernance. Il existe un risque de perte de parts de marché à mesure que la demande globale d’énergies renouvelables augmente.
L’opinion selon laquelle les coûts de production des sables bitumineux canadiens, situés dans la région de l’Alberta, sont élevés, est assez répandue. Mais les faits sur le terrain changent. Le coût de la production pétrolière y a diminué au cours des deux dernières décennies. La longue durée de vie et la nature peu dégressive de ces actifs signifient que l’intensité de capital nécessaire pour maintenir les activités est relativement faible par rapport à celle des entreprises américaines comparables, et qu’elle permet de générer un flux de trésorerie disponible élevé, c’est-à-dire un flux de trésorerie supérieur aux dépenses d’exploitation et aux dépenses en capital de l’entreprise. En outre, les actions des sables bitumineux canadiens se négocient souvent à des prix inférieurs à ceux du groupe de référence de l’exploration et de la production aux États-Unis, ce qui s’explique en partie par les préoccupations environnementales et la lourde empreinte carbone de la production par baril.
La faible intensité de capital des sables bitumineux canadiens favorise une conversion élevée du flux de trésorerie disponible
Les équipes de direction de certains géants pétroliers américains et européens agissent avec la plus grande discipline en matière de capital observée depuis des décennies, et les dividendes offrent une certaine marge de manœuvre aux investisseurs, même si les prix du pétrole baissent à partir d’aujourd’hui. Les grandes multinationales du pétrole peuvent bénéficier de prix du pétrole et du gaz plus élevés pendant une période prolongée, ce qui permet de soutenir les entreprises d’exploration et de production en amont, en plus des marges de raffinage record en aval, auxquelles les entreprises actives uniquement en amont n’ont pas accès. Sur le plan des évaluations, les plus importantes multinationales du pétrole européennes négocient avec une décote plus importante que d’habitude par rapport à leurs homologues américains sur la base des multiples cours/bénéfices, malgré des caractéristiques commerciales très similaires.
Les grandes entreprises européennes se négocient à un prix nettement inférieur à celui de leurs rivales américaines
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