Dans le film de 2008, L’Étrange Histoire de Benjamin Button, le personnage principal joué par Brad Pitt naît vieux et rajeunit au fil des années. L’analogie peut paraître curieuse, mais c’est le même genre de phénomène que j’observe actuellement au sein de l’économie américaine : elle semble suivre une trajectoire inverse à celle attendue normalement.
En effet, à rebours du modèle classique de cycle en 4 étapes – reprise, expansion, surchauffe et récession – que nous lui connaissions depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’économie américaine vient de passer de la surchauffe (caractérisée par une inflation forte et le resserrement de la politique monétaire) à l’expansion (dans laquelle les bénéfices des entreprises augmentent, la demande de crédit s’accélère et la politique monétaire est globalement neutre).
L’étape suivante du cycle économique aurait logiquement dû être celle de la récession, mais nous l’avons visiblement évité et, en renouant avec l’expansion, nous avons en quelque sorte remonté le temps économique.
30 septembre 2024
L’économie américaine remonte le temps


Source : Capital Group. Position au regard du cycle économique : estimation prospective établie par les économistes de Capital Group en décembre 2024 (bulle correspondant à 2024) et en septembre 2024 (bulle correspondant à 2025). À titre d’illustration uniquement. Les opinions de chaque gérant de portefeuille et analyste peuvent différer.
HComment est-ce possible ? Tout comme dans le film, ce « phénomène à la Benjamin Button » semble assez mystérieux. Mais la crise du covid y est certainement pour quelque chose, puisqu’elle a créé des distorsions typiques d’une surchauffe sur le marché de l’emploi au sortir des confinements. Et aujourd’hui, si l’on en croit d’autres indicateurs économiques plus larges, qui paraissent plus fiables dans le contexte actuel, nous sommes à nouveau en période d’expansion.
Or, si comme je le pense, l’économie américaine est bel et bien en milieu de cycle, alors il est possible que nous nous trouvions dans une période inédite d’expansion qui pourrait durer jusqu’en 2028 ! Précisons que par le passé, ce type de conjoncture a été favorable tant aux marchés actions (qui ont eu tendance à progresser de 14 % par an environ) qu’aux marchés obligataires.
Zoom sur l’écart avec le taux de chômage naturel
Pour vous aider à comprendre, voici ma méthodologie : plutôt que d’utiliser les chiffres standard du chômage pour déterminer à quel stade du cycle économique nous nous trouvons probablement, je préfère analyser l’écart entre le taux de chômage réel (actuellement à 4,2 %) et le taux de chômage naturel – appelé NAIRU pour « non-accelerating inflation rate of unemployment » –, qui se situe généralement entre 5 % et 6 %. Pour faire simple, le taux de chômage naturel désigne le niveau de chômage en deçà duquel on peut s’attendre à ce que l’inflation accélère.
Cette méthode repose sur une approche complète consistant à évaluer la politique monétaire, les pressions sur les coûts, les marges bénéficiaires, les dépenses d’investissement et la production économique globale.
L’écart entre le chômage réel et le chômage naturel peut être mesuré tous les mois avec la publication des chiffres de l’emploi américain. Et la raison pour laquelle il est si fiable est qu’il a tendance à évoluer de manière corrélée avec les facteurs sous-jacents de chaque cycle économique. Par exemple, quand les marchés de l’emploi sont tendus, les pressions sur les coûts ont tendance à être élevées, les bénéfices des entreprises reculent et l’économie est généralement en surchauffe.
D’après les chiffres du chômage, l’économie américaine serait en expansion


Source : Capital Group. Écart entre le taux de chômage réel et le taux de chômage naturel. Cycle économique : estimation prospective établie par les économistes de Capital Group. Les opinions de chaque gérant de portefeuille et analyste peuvent différer. Au 31 juillet 2024.
C’est justement la configuration qu’on a pu observer juste avant la crise du covid, et qui a constitué le signe avant-coureur d’un ralentissement de fin de cycle en 2019. Puis, au tout début de la crise sanitaire, nous avons subi une récession éclair entre février 2020 et avril 2020.
Or, il est probable que ce soit la crise sanitaire qui a créé des distorsions à la fois conjoncturelles et structurelles sur le marché américain de l’emploi. Par exemple, le taux d’activité – autrement dit, le nombre d’actifs rapporté à l’ensemble de la population d’âge actif, selon la définition de l’OCDE – a marqué le pas quand l’économie mondiale a brutalement été mise à l’arrêt, avant de rebondir au-delà de ses niveaux pré-covid pour la population active de 25 à 54 ans.
En d’autres termes, les méthodes traditionnellement utilisées pour observer l’évolution du chômage sont désormais moins fiables pour évaluer l’environnement économique au sens large, car moins corrélées avec les facteurs classiques du cycle économique. Et le fait d’ignorer ces changements peut tout simplement fausser les estimations.
Conséquences pour les investisseurs : le contexte actuel pourrait être favorable pour les actions et les obligations
Je base mon opinion des marchés actions sur mon analyse du contexte macroéconomique. Comme je l’ai expliqué plus haut, une économie en expansion a tendance à engendrer une progression des marchés actions d’environ 14 % par an. Dans ce type de conjoncture, les petites capitalisations surperforment généralement les grandes capitalisations, les titres « value » surperforment les titres « growth », et les secteurs des matériaux et de l’immobilier produisent les meilleurs résultats. Voilà ce qui ressort de l’évaluation menée par Capital Group sur la période allant de décembre 1973 à août 2024.
Comme toujours, les résultats passés ne préjugent pas des résultats futurs, mais une croissance américaine qui demeure soutenue – entre 2,5 % et 3 %, selon mon estimation – devrait être positive pour les cours des actions. Et quand la croissance américaine est supérieure à 2 % sur de longues périodes, les marchés actions ont tendance à progresser plus vite que la moyenne.
Les marchés ont tendance à progresser quand l’économie est en expansion


Sources : Capital Group, MSCI. Données mensuelles de décembre 1973 à août 2024. Indices : Datastream U.S. Total Market du 31 décembre 1973 au 31 décembre 1994, puis MSCI USA les années suivantes. Classification sectorielle : Datastream du 31 décembre 1973 au 31 décembre 1994, puis GICS (MSCI) les années suivantes. Cycle économique : estimation prospective établie par les économistes de Capital Group. Les opinions de chaque gérant de portefeuille et analyste peuvent différer. Au 31 juillet 2024.
Les économies en expansion offrent aussi un contexte généralement favorable aux marchés obligataires : toujours entre décembre 1973 et août 2024, les bons du Trésor américain à long terme et les obligations d’entreprise à long terme ont en effet gagné respectivement 4,7 % et 5 % par an.
Et le contexte sera encore plus propice aux obligations ces prochaines années si la Fed poursuit la politique d’assouplissement monétaire récemment engagée. Cela dit, les perspectives économiques paraissent encourageantes, si bien qu’il me paraît peu probable que la Fed abaisse ses taux autant que le marché l’anticipe. Après tout, l’inflation n’est pas totalement maîtrisée, puisqu’elle demeure légèrement supérieure au taux cible de 2 % fixé par la Fed. Dans ces conditions, après la récente baisse de 50 points de base, il est possible que la banque centrale lève le pied jusqu’à nouvel ordre.
L’issue des élections américaines est-elle réellement incertaine ?
À un mois seulement du scrutin présidentiel américain, vous vous demandez peut-être si mes perspectives économiques et boursières évolueront en fonction du parti qui remportera la mise. La réponse est négative, car j’ai appris au fil des années à faire abstraction des résultats électoraux. Les promesses faites pendant la campagne sont rarement tenues, de sorte que j’évite d’en tenir compte.
En tant qu’économiste, je considère que les blocages politiques peuvent être une bonne chose, ce qui s’est confirmé ces dernières décennies. Nous aurons peut-être à nouveau un gouvernement sans majorité à la Maison Blanche, au Sénat et à la Chambre des représentants en 2025. Voilà qui devrait réduire le risque de revirements politiques et recentrer le débat sur les fondamentaux, à savoir l’économie, la consommation et les bénéfices des entreprises.

Jared Franz est économiste chez Capital Group et possède 18 ans d’expérience dans le secteur de l’investissement. Il est titulaire d’un doctorat en économie d’University of Illinois à Chicago et d’une licence de mathématiques de Northwestern University.