Pour un aperçu de la volatilité actuelle des marchandises, considérons le marché du nickel. Les prix ont doublé au début mars avant de chuter, motivant la London Metals Exchange à suspendre sa cotation. Cette semaine, le marché du nickel, un composant essentiel des batteries de véhicules électriques et des produits en acier inoxydable, a rouvert, mais avec des plafonds de négociation stricts.
Voilà un exemple parmi tant d’autres de la manière dont l’économie mondiale est perturbée par l’invasion russe de l’Ukraine. La Russie fournit environ 20 % de l’approvisionnement mondial en nickel. La menace de perdre cet approvisionnement a ébranlé les marchés commerciaux et incité les acheteurs à chercher d’autres sources.
Les cours des marchandises montent en flèche dans le contexte du conflit entre la Russie et l’Ukraine
Les prix des marchandises ont fortement augmenté depuis l’invasion du 24 février, en particulier ceux des matériaux produits en Russie et en Ukraine. Cela inclut le blé, le pétrole et le gaz naturel, ainsi que d’autres métaux essentiels comme l’aluminium, le palladium et le cuivre.
Les prix étaient toutefois déjà en hausse bien avant le début du conflit, contribuant ainsi à des pressions inflationnistes inédites depuis le début des années 1980. La question cruciale pour les investisseurs est donc la suivante : ces hausses de prix vont-elles durer?
Selon Lisa Thompson, gestionnaire de portefeuille d’actions, à court terme, la réponse est non. « Le marché a réagi de manière disproportionnée et les prix ont déjà quelque peu redescendu, dit-elle. Mais les prix des marchandises sont aujourd’hui bien supérieurs à leur niveau d’il y a un an, et je crois que cette tendance se maintiendra. »
« À long terme, ajoute Mme Thompson, les prix devraient rester élevés en raison d’un certain nombre de facteurs, notamment la hausse de la demande, les pénuries d’approvisionnement et les forces de démondialisation symbolisées par la guerre en Ukraine et les relations tendues entre les États-Unis et la Chine. Dans un monde où le commerce libre et ouvert est en recul, il faut s’attendre à des prix plus élevés. »
Dans l’optique de l’investissement, cette conjoncture aura des répercussions évidentes pour le secteur des mines et des métaux. Il s’agit d’un secteur négligé du marché depuis plus d’une décennie, voire plus si l’on exclut la dernière flambée des prix pendant la crise financière mondiale de 2008.
Le secteur est sous-évalué depuis des années et l’est encore aujourd’hui, malgré la récente reprise des actions des entreprises minières, estime Douglas Upton, analyste de placements en actions de Capital Group qui suit les marchés des marchandises depuis plus de 30 ans. D’après lui, les prix de nombreuses marchandises resteront élevés pendant les prochaines années en raison du sous-investissement chronique dans ce secteur depuis 2015. Or, le problème est exacerbé par le fait qu’il faut plus de temps qu’avant pour lancer de nouveaux projets miniers.
« Il s’agit d’un processus pluriannuel, explique M. Upton. La découverte, l’autorisation et le financement prennent tous beaucoup plus de temps, et en termes de prix, cela laisse présager des sommets et des creux plus prononcés, jusqu’à ce que les nouveaux investissements commencent à produire des résultats. » Selon lui, cette dynamique ne s’applique pas aux cultures vivrières et autres, car la production dans ces domaines peut être plus rapidement accrue.
Historiquement, les marchandises sont bon marché par rapport aux actions américaines
« À mon avis, toutes les grandes entreprises minières sont sous-évaluées, dit-il. Le marché ne réfléchit pas assez aux conséquences du phénomène de sous-investissement. De plus, les évaluations et les estimations consensuelles de bénéfices supposent que les prix des marchandises baisseront au cours des prochaines années, se rapprochant ainsi des moyennes historiques. Je crois que cette thèse est fautive. »
Comme exemple concret, considérons la capitalisation boursière des sept plus grandes entreprises minières du monde. Même combinées, elles sont loin d’atteindre la valeur de marché d’une entreprise bien-aimée de la nouvelle économie comme Tesla. Le constructeur automobile a besoin de certains métaux raffinés, dont le nickel, pour produire ses batteries lithium-ion. Bien avant l’invasion de l’Ukraine par la Russie, Elon Musk, le PDG de Tesla, avait d’ailleurs déclaré que l’accès au nickel figurait parmi ses principales préoccupations de production.
Les entreprises minières demeurent dans l’ombre malgré leur rôle clé dans l’économie mondiale
M. Upton ajoute qu’outre le sous-investissement, un autre facteur susceptible d’entraîner une hausse des prix des marchandises sur le long terme est la recherche mondiale de sources d’énergie durables. L’électricité, en particulier, est devenue une ressource privilégiée. L’expansion du réseau électrique, ainsi que l’adoption rapide des véhicules électriques, exigera beaucoup de cuivre, de nickel et d’autres métaux essentiels.
Le ralentissement de l’économie chinoise pourrait en revanche contribuer à freiner la hausse les prix des marchandises. Premier importateur de matières premières, la Chine consomme plus de la moitié des réserves mondiales de minerai de fer, de charbon et de cuivre. Lorsque l’économie chinoise faiblit, le marché mondial des marchandises a tendance à s’essouffler.
L’étroite relation commerciale de la Chine avec l’Union européenne pourrait également l’exposer à une récession en Europe si la guerre en Ukraine se prolonge. En outre, la Chine est confrontée à une résurgence de COVID-19 que le gouvernement tente d’endiguer en réintroduisant les restrictions sur les voyages et les loisirs, ce qui pourrait entraver davantage l’économie.
« Même avant la dernière flambée de COVID-19, l’économie chinoise ralentissait, ou du moins se stabilisait à un taux de croissance très faible », dit Stephen Green, économiste chez Capital Group qui couvre l’Asie. « La situation risque de s’aggraver avant de s’améliorer, et une récession suffisamment marquée pourrait faire chuter les prix des marchandises. »
M. Green suppose que la banque centrale de Chine réduira probablement bientôt les taux d’intérêt alors que la plupart des autres banques centrales dans le monde évoluent dans le sens inverse.
Quelle que soit l’évolution des marchés, la flambée actuelle des prix confirme à nouveau que les marchandises offrent une couverture efficace contre l’inflation. Ce n’est pas surprenant, car ces mêmes marchandises (le pétrole et le gaz, par exemple) alimentent de nombreux aspects de l’économie mondiale et peuvent contribuer à accélérer l’inflation, qui est actuellement au niveau le plus élevé depuis 40 ans.
Historiquement, l’énergie, et plus particulièrement le pétrole, a évolué au rythme de l’inflation, mesurée par l’indice des prix à la consommation (IPC) des États-Unis. Le pétrole étant généralement une composante majeure des indices liés aux marchandises, la corrélation à long terme entre les prix des marchandises et l’inflation est élevée.
Pas de surprise : les marchandises constituent une excellente protection contre l’inflation
Il y a toutefois d’importants écarts entre les grandes catégories de marchandises. Le pétrole et le gaz, les métaux, ainsi que les produits alimentaires et agricoles, suivent souvent leurs propres cycles.
Jared Franz, économiste chez Capital Group, prévient les investisseurs en quête de couverture contre l’inflation de bien garder cela à l’esprit. « Tout dépend de la source de l’inflation », affirme-t-il.
« Il n’est pas surprenant que le secteur de l’énergie a tendance à bien se porter lorsque l’inflation augmente, car les hausses des prix de l’énergie, notamment de l’essence, peuvent être rapidement répercutées sur les consommateurs, précise M. Franz. Ce n’est pas toujours le cas pour d’autres marchandises, pour lesquelles les hausses de prix peuvent être absorbées au fur et à mesure qu’elles avancent dans la chaîne de production. »
L’indice des prix à la consommation (IPC) des États-Unis est une mesure de l’évolution moyenne dans le temps des prix payés par les consommateurs urbains pour un panier de biens et de services de consommation.
L’indice S&P GSCI Commodity Total Return est un indice de rendement du secteur des marchandises représentant un investissement à long terme sans effet de levier dans des contrats à terme sur marchandises largement diversifiés parmi l’éventail des marchandises.
L’indice composé Standard Poor’s 500 est un indice pondéré en fonction de la capitalisation boursière, fondé sur les résultats d’environ 500 actions ordinaires détenues par un grand nombre d’actionnaires.
Indicateurs économiques
Investissement à long terme
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