L’hiver dernier, j’ai célébré le 35e anniversaire de ma carrière dans le secteur de la gestion de fonds, et ce jalon m’a incité à consigner par écrit les leçons que j’ai apprises tout au long de mon parcours. J’ai pensé qu’il serait également utile de partager mon point de vue sur la façon dont j’en suis venu à accepter à la fois l’inévitabilité et la fréquence des crises du marché, et sur la façon dont j’ai appris à les surmonter.
Je suis entré par hasard dans ce secteur en 1987 en raison de la faillite de la société de conseil axée sur la Chine pour laquelle je travaillais et parce que ma femme était enceinte de notre premier enfant. J’ai parlé à un chasseur de têtes qui m’a demandé si j’avais envisagé de travailler dans l’analyse des marchés boursiers. Compte tenu de mon parcours plutôt inhabituel, elle m’a dit que la seule société de gestion de fonds à New York qui pourrait envisager de m’embaucher était Sanford Bernstein. Le fait que j’aie déjà conduit un taxi, comme le président de Bernstein de l’époque, Lew Sanders, n’a pas nui à mes chances. Aussi étonnant que cela puisse paraître, j’ai obtenu le poste.
Les perturbations du marché font partie de la vie
Ne connaissant pratiquement rien à l’analyse des entreprises ou à la gestion de portefeuille, je suis devenu analyste financier généraliste environ trois semaines avant le krach boursier d’octobre 1987.
Ma carrière, ayant débuté par une crise, a donc continué à être marquée par ces événements depuis lors. Au cours des 35 années que j’ai passées dans le secteur de l’investissement, j’ai traversé 23 chocs boursiers, dont le krach de 1987, l’éclatement de la bulle technologique, la crise financière mondiale, la pandémie de COVID-19, la guerre en Ukraine et, plus récemment, la montée de l’inflation à travers le monde.
Si je mentionne ces événements, c’est uniquement pour souligner le fait que les perturbations du marché sont inévitables. L’arrivée de la prochaine crise n’est qu’une question de temps. À en juger par ma liste, une crise survient environ tous les 16 mois.
Lorsque j’ai commencé à travailler comme analyste, le processus d’investissement de Bernstein s’appuyait sur son modèle exclusif d’actualisation des dividendes. Très tôt, l’importance des dividendes m’a été inculquée et d’un point de vue théorique, la valorisation des entreprises correspond à la valeur actuelle de tous les dividendes futurs qu’elles verseront.
La principale conclusion que j’en ai tirée est la suivante : à long terme, le cours des actions est plus volatil que les bénéfices. Ce phénomène s’explique par le fait que les émotions alimentent les fluctuations des marchés, peut-être autant que la froideur de la quantification de la valeur des entreprises. C’est ce qui a guidé ma philosophie de placement depuis lors : j’observe les extrêmes des changements de sentiment et j’essaie d’en tirer profit.
Mais le fait de vendre les entreprises bien-aimées et d’acheter celles qui suscitent la méfiance n’est pas en soi une recette de succès. Cependant, si l’on associe cette philosophie à contre-courant à un jugement éclairé portant sur les bénéfices futurs, l’approche se révèle très efficace. C’est pourquoi j’écoute attentivement ce que disent nos analystes chez Capital Group à propos de la trajectoire des bénéfices des entreprises.
Avant de devenir analyste de placements, j’ai travaillé dans le secteur du développement commercial en Chine et dans celui de la restructuration de la dette du secteur public au Venezuela. Auparavant, j’ai fait des études universitaires de premier et de deuxième cycle en Europe et en Chine. Je me considérais comme un citoyen du monde et je voulais mondialiser mes activités d’investissement.
Lorsque je me suis joint à Capital Group à la fin de 1989, j’étais enchanté de faire mes valises avec ma jeune famille et de partir pour Londres. Déjà, il y a 30 ans, je trouvais que le prix des logements au Royaume-Uni était ridiculement élevé, si bien que nous avons décidé d’habiter sur un bateau sur la Tamise. Une formidable aventure, mais je n’entrerai pas dans les détails ici.
Au départ, j’ai couvert les services collectifs européens, en commençant par les entreprises de distribution d’eau récemment privatisées au Royaume-Uni. Le processus de privatisation avait été un champ de mines politique et l’opposition était fébrile. Cependant, la vente des entreprises de ce secteur était devenue une nécessité pour le gouvernement, car le système était en train de s’effondrer. D’énormes dépenses en capital étaient nécessaires pour remettre les choses en ordre. Les prix devaient augmenter et les flux de trésorerie devaient croître. Les flux de dividendes qui allaient en résulter étaient attrayants, mais le drame politique entravait les valorisations. C’était exactement ce dont j’avais besoin!
Heureusement pour moi, la stratégie en matière d’actions de revenu, le Générateur de revenu, avait été lancé deux ans avant que je me joigne à Capital Group (Capital Group générateur de revenuMC [Canada] a été mis à la disposition des investisseurs canadiens en 2018), et le fonds était ouvert aux idées d’investissement proposant la combinaison d’un rendement courant élevé et de dividendes en hausse. Par ailleurs, Jon Lovelace, fils du fondateur de Capital Group et principal instigateur de la création du fonds, se rendait régulièrement à Londres. JL, comme nous l’appelions, était ouvert à mes idées sur les services collectifs britanniques. J’ai eu la chance de passer pas mal de temps avec lui, à visiter des entreprises et à échanger des idées sur les investissements.
Les entreprises de distribution d’eau et d’électricité que j’ai recommandées ont d’abord été confrontées à des difficultés. À l’approche des élections générales de 1992 au Royaume-Uni, le parti travailliste parlait de renationalisation. Les actions des entreprises de services collectifs sont tombées en chute libre. Je suis tombé dans un état de crainte quant à la façon dont tout cela allait se terminer. Heureusement, JL était en visite à Londres à ce moment-là et nous avons discuté des perspectives envisageables. J’ai suggéré que la renationalisation serait trop coûteuse pour tout futur gouvernement et que les prix devaient augmenter pour faciliter les projets de dépenses en capital existants. JL a conclu : « Je crois bien que nous devrions acheter dans ce cas. » Et c’est exactement ce que nous avons fait. Et, comme par hasard, les travaillistes ont perdu à la surprise générale, le secteur a pris son envol et j’ai appris une leçon sur la nécessité de ne pas céder à la crainte lorsque les circonstances sont contraires à celles que l’on souhaite.
Depuis, j’ai eu le privilège d’être gestionnaire de portefeuille pour le Générateur de revenu, ainsi que pour d’autres fonds stratégiques de croissance et de revenu.
Le plus grand échec de ma carrière d’analyste a été Eurotunnel. En 1993, cinq ans après son premier appel public à l’épargne, l’entreprise était un fiasco intégral. Le projet ferroviaire sous la Manche avait pris du retard et les coûts avaient dépassé les budgets. La direction était en plein désarroi, tandis que les investisseurs particuliers, essentiellement français, se révoltaient. De toute évidence, il y avait là de quoi nourrir un investisseur à contre-courant.
Les retards de construction, les dépassements de coûts, les nouvelles réglementations en matière de sécurité, le refus du gouvernement français de cesser de subventionner ses traversiers dans la Manche et un trafic décevant ont fait dérailler le projet. Du prix recommandé de 4,00 livres sterling, l’action est passée à environ 5,60 livres, avant d’entamer une triste descente vers zéro. À la fin de 1995, nous avons vu nettement que la situation allait devenir extrêmement périlleuse et nous avons vendu en subissant une perte d’environ 80 %.
En 1999, on m’a demandé de m’installer à Hong Kong pour aider à renforcer la présence de Capital Group dans cette ville; la famille Watson a débarqué au début de l’an 2000. Le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) est apparu trois ans plus tard. Présentant de nombreuses caractéristiques de la pandémie de la COVID-19, le SRAS a durement frappé les économies et les marchés asiatiques. C’est dans cet environnement difficile que j’ai assumé mes nouvelles fonctions d’analyste immobilier pour la région de la Chine élargie.
Étant un investisseur à contre-courant, l’effondrement des prix de l’immobilier à Hong Kong m’a offert des occasions intéressantes lorsque les prix ont commencé à se redresser.
Au cours des 23 années pendant lesquelles j’ai vécu à Hong Kong et suivi la Chine de près, j’ai été témoin de périodes de croissance extraordinaire, mais aussi de défis comme la répression réglementaire de secteurs entiers et les politiques restrictives de « zéro COVID ». Aujourd’hui, la Chine est un marché difficile. Elle bat de l’aile depuis plusieurs années. Fait intéressant, la Chine s’est un peu mieux comportée que l’ensemble des marchés émergents, mais je suis convaincu qu’elle est ignorée parce que les gens se préoccupent davantage des rendements décevants de ce pays.
Un grand débat fait rage au niveau mondial, et nous menons un débat intéressant sur le même sujet au sein de Capital Group. La Chine retournera-t-elle à la croissance? Je crois que oui. Et je crois que le marché qui est peut-être le plus mal-aimé du monde peut offrir des rendements très intéressants. C’est probablement le point de vue qui représente le mieux ma philosophie d’investisseur à contre-courant jusqu’à présent. Dans les portefeuilles que je gère, j’ai une plus grande concentration d’investissements en Chine et d’investissements liés à la Chine que la plupart de mes collègues.
Les chocs et les crises du marché font tout simplement partie du paysage de l’investissement. Ce sont des moments douloureux, mais nous finissons par nous en remettre. Et il est facile de dire, en période de crise, qu’il est préférable d’attendre d’y voir plus clair avant d’investir. Les gens veulent voir les catalyseurs d’un redressement.
J’en ai conclu qu’il ne valait pas la peine de tenter d’anticiper les mouvements du marché. Nous sommes toujours à la recherche de valeur. Nous pesons toujours le pour et le contre. Nous sommes toujours en train de juger. Mais mes propres tentatives d’accumuler intelligemment des liquidités et d’adopter une attitude plus défensive n’ont pas été couronnées de succès.
Ce qui a fonctionné pour moi en tant que gestionnaire de portefeuille, c’est la collaboration avec nos analystes (qui connaissent les entreprises dans lesquelles nous pouvons investir mieux que je ne les connaîtrai jamais) pour avoir une idée de leur valeur intrinsèque. Ensuite, je peux faire ma propre analyse en essayant de déterminer dans quel secteur le marché se trompe, en surestimant ou en sous-estimant les valeurs fondamentales, et investir en conséquence, tout en faisant de mon mieux pour rester patient et me concentrer sur les résultats à long terme.
C’est ce que je fais. Et cela me permet de voir au-delà des crises, parce que les crises semblent être un phénomène constant. Oui, cette crise est passagère, comme toutes les autres. Et je serai presque toujours pleinement investi.
L’indice MSCI All Country World est un indice pondéré selon la capitalisation boursière flottante, conçu pour mesurer le rendement des marchés boursiers des pays développés et émergents. Il est composé de plus de 40 indices de pays développés et émergents.
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