L’économie mondiale a réussi à éviter une récession au cours des derniers mois, grâce à la résistance des consommateurs, à l’augmentation des voyages et des activités de loisirs, et à la réouverture de l’économie chinoise après les confinements liés à la pandémie.
Selon Jared Franz, économiste chez Capital Group, cela devrait changer au second semestre, car l’impact des taux d’intérêt élevés, de l’inflation et d’une crise du secteur bancaire se conjuguent pour faire basculer le monde dans une légère récession.
« La croissance économique mondiale est en passe de diminuer d’environ 1 % sur l’ensemble de l’année, selon moi », explique Jared. « Cela devrait être suivi d’une croissance assez robuste en 2024, stimulée par de fortes dépenses de consommation et des taux d’intérêt potentiellement plus bas aux États-Unis et en Europe. »
Une courbe des taux inversée a souvent précédé les récessions
De nombreux indicateurs économiques pointent vers une récession aux États-Unis, notamment l’inversion de la courbe des taux. Cela se produit lorsque les rendements des obligations à court terme du Trésor américain sont plus élevés que les rendements des obligations à long terme, ce qui indique que les investisseurs s’attendent à des temps économiques difficiles.
« La courbe des taux américaine est plus inversée aujourd’hui qu’elle ne l’a été depuis les années 1980 », note M. Franz. « De tous les indicateurs de récession, c’est celui qui a été le plus précis. »
La courbe des taux est également inversée au Canada, les moyennes des obligations à court terme de un à trois ans et de trois à cinq ans étant nettement plus élevées que la moyenne des obligations à long terme sur dix ans. Il en est ainsi depuis l’été 2022.
Selon les estimations de Capital Strategy Research (CSR), l’équipe de recherche macroéconomique de Capital Group, si l’on considère les principales économies mondiales, les États-Unis pourraient reculer de 1 %, l’Europe devrait rester neutre ou légèrement négative, et la Chine pourrait connaître une croissance de 2 % à 3 %. Les estimations de CSR sont légèrement inférieures aux estimations du consensus, principalement parce que l’inflation pourrait rester à des niveaux plus élevés que prévu.
L’inflation est moins pesante aujourd’hui, mais reste élevée
On n’en a peut-être pas l’impression à l’épicerie, mais l’inflation est sur une trajectoire descendante aux États-Unis, en Europe et sur de nombreux autres marchés, y compris au Canada où le taux annuel est tombé à 4,4 % en avril, après avoir atteint un sommet de 8,1 % en juin dernier. Cela est dû en grande partie à la baisse des prix de l’énergie, à la diminution des perturbations de la chaîne d’approvisionnement et aux hausses agressives des taux d’intérêt par les banques centrales, y compris la Banque du Canada (BdC). Les secteurs sensibles aux taux d’intérêt, tels que le logement, en ressentent déjà les effets, avec une baisse des prix de l’immobilier sur certains marchés autrefois dynamiques, bien que l’activité immobilière ait repris au Canada en 2023 après avoir chuté l’année dernière.
Les hausses de taux américaines destinées à lutter contre l’inflation ont également déclenché une crise dans le secteur bancaire au sud de la frontière. L’an dernier, la chute brutale du marché obligataire a mis à mal les portefeuilles de nombreuses banques régionales, contribuant à l’effondrement de la Silicon Valley Bank et de la Signature Bank. En Europe, la contagion a gagné le Crédit suisse, qui a failli s’effondrer avant qu’UBS n’accepte de le racheter pour plus de 3 G$ US.
L’immobilier commercial pourrait être le prochain à tomber. Les taux d’inoccupation des bureaux sont en hausse, car de plus en plus d’entreprises adoptent des modèles de travail à domicile. Dans le même temps, il est devenu plus difficile de refinancer les prêts immobiliers commerciaux contractés lorsque les taux d’intérêt étaient beaucoup plus bas. Cette situation pourrait constituer une menace croissante pour les banques fortement exposées aux prêts immobiliers commerciaux.
« La situation des bureaux et des commerces de détail semble être la plus préoccupante », déclare Ben Zhou, un analyste de Capital Group qui couvre les fiducies de placement immobilier.
Bien que l’exposition des banques canadiennes aux prêts immobiliers soit nettement inférieure à celle de leurs homologues américaines, les grandes banques ont annoncé, lors de la publication de leurs derniers résultats à la fin du mois de mai, une augmentation de leurs provisions pour couvrir les défaillances potentielles.
Compte tenu de ces risques croissants, les perspectives en matière de taux d’intérêt aux États-Unis ont radicalement changé depuis le début du mois de mars, lorsque la crise bancaire a éclaté. Comme l’indique le graphique ci-dessous, les investisseurs ne pensent plus que la Réserve fédérale américaine relèvera ses taux aussi fortement ou aussi rapidement que prévu, en grande partie à cause du resserrement de l’environnement de prêt résultant de la crise bancaire.
« Nous savions qu’il y aurait des conséquences à l’une des campagnes de resserrement les plus agressives de l’histoire », explique Pramod Atluri, gestionnaire de portefeuille de titres à revenu fixe. « Les bouleversements que nous observons sur les marchés financiers signalent une nouvelle phase douloureuse pour la Fed. Elle a clairement exposé certaines vulnérabilités et, par conséquent, je pense que nous approchons de la fin de ce cycle de hausse des taux. »
Les investisseurs s’attendent à une baisse des taux d’intérêt dans les mois à venir
La Banque centrale européenne a également ralenti sa campagne de hausse des taux, ramenant ses augmentations de 50 points de base à 25 points de base lors de sa réunion de politique monétaire du 4 mai. Jusqu’à présent, les responsables de la BCE n’ont pas indiqué leur volonté de faire une pause, étant donné que l’inflation est nettement plus élevée en Europe qu’aux États-Unis.
Même aux États-Unis, la hausse des prix à la consommation est bien supérieure à l’objectif de 2 % fixé par la Fed. De plus en plus de signes indiquent qu’une inflation de l’ordre de 4 % à 5 % pourrait être plus tenace que les banquiers centraux ne l’avaient imaginé. Le 26 mai, le gouvernement américain a indiqué que l’inflation de base avait augmenté de 4,7 % en glissement annuel en avril, contre 4,6 % le mois précédent.
Le Canada a également enregistré une hausse de son taux d’inflation annuel, qui est passé de 4,3 % en mars à 4,4 % en avril. L’inflation persistante a été l’une des principales raisons pour lesquelles la BdC a relevé son taux d’intérêt de référence d’un quart de point pour le porter à 4,75 % le 7 juin, relançant ainsi sa campagne de resserrement après une pause en janvier.
Une question essentielle se pose pour l’avenir : la Fed et les autres banques centrales seront-elles disposées à laisser l’inflation s’emballer pendant un certain temps? Ou bien décideront-elles, comme l’a fait la BdC, qu’il est plus important de maîtriser les prix en maintenant les taux à un niveau supérieur aux attentes du marché?
« Les banquiers centraux se trouvent dans une situation difficile et je ne les envie pas du tout », déclare M. Franz. « À mon avis, la Fed va interrompre sa campagne de relèvement des taux afin d’évaluer les dommages causés par la crise bancaire, et elle pourrait même commencer à réduire ses taux d’ici la fin de l’année. »
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