La baisse de l’inflation et le ralentissement de l’économie rassurent les investisseurs obligataires : la Réserve fédérale américaine pourrait enfin cesser de relever les taux d’intérêt. Et comme les rendements des marchés obligataires sont proches de leurs plus hauts niveaux depuis 20 ans, les obligations pourraient faire un grand retour en 2024.
Les investisseurs sont déjà passés par là, mais la banque centrale a continué à relever ses taux, car l’inflation ne ralentissait pas assez vite. « La différence cette fois-ci, par rapport à l’année dernière, est due à la combinaison d’une inflation beaucoup plus proche de l’objectif et d’un plus grand nombre de données montrant que les taux d’intérêt élevés pèsent sur l’économie », explique Oliver Edmonds, gestionnaire de portefeuille de titres à revenu fixe.
Les hausses de taux de la Fed ont fait grimper les rendements dans tous les secteurs obligataires
La Fed a maintenu ses taux stables pendant plusieurs mois après les avoir relevés depuis mars 2022 pour atteindre la fourchette actuelle de 5,25 % à 5,50 %. Les autorités ont annoncé trois baisses de taux et ont l’intention d’abaisser les coûts d’emprunt à 4,6 % d’ici à la fin de 2024.
Entre-temps, l’emploi et les dépenses de consommation sont restés étonnament stables. Le taux de chômage aux États-Unis s’est maintenu à 3,7 % en novembre, avec 199 000 emplois créés. Ce taux est supérieur au taux le plus bas de 3,4 % sur une période de 50 ans, atteint en avril 2023 par les États-Unis.
« L’élément vital de l’économie est le consommateur, qui est soutenu par le plein emploi. Lorsque les chiffres de l’emploi diminuent au-delà d’un certain point », ajoute M. Edmonds, « la spirale peut facilement s’enclencher et l’on peut se retrouver dans une situation où la Fed a trop serré la vis. »
Selon un indicateur de récession connu sous le nom de règle de Sahm, ce point est atteint lorsque la moyenne du chômage sur trois mois est supérieure de 0,5 % ou plus à son niveau le plus bas au cours des douze mois précédents. La valeur actuelle est de 0,3 %.
Lorsque la courbe des taux du Trésor américain s’est inversée (c’est-à-dire que les rendements à court terme sont devenus plus élevés que les rendements à long terme) en juillet 2022, beaucoup y ont vu une sonnette d’alarme annonçant une récession imminente. Plus d’un an après, la récession ne s’est pas matérialisée, mais il est encore trop tôt pour dire si la Fed a réussi à réaliser un « atterrissage en douceur », estime Tim Ng, gestionnaire de portefeuille du Fonds Capital Group revenu fixe essentiel plus canadienMC (Canada).
Historiquement, la durée moyenne d’une récession consécutive à une inversion de la courbe des taux est d’environ 15 mois, l’intervalle le plus long étant de 24 mois. En outre, les hausses de taux de la Fed continueront à se faire sentir au fur et à mesure qu’elles se répercuteront sur l’économie. En réponse à l’incertitude, les marchés obligataires ont oscillé entre la conviction que la Fed maintiendra les taux à un niveau élevé pendant une période prolongée et qu’elle réduira les taux d’intérêt en 2024 pour éviter des dommages économiques profonds.
Dans les deux cas, les investisseurs pourraient vouloir se positionner en vue d’une normalisation ou d’une pentification de la courbe des taux, où les rendements du Trésor à long terme sont plus élevés que les rendements à court terme, explique M. Ng, qui est membre de l’équipe chargée des taux américains chez Capital Group. « La courbe des taux devrait s’accentuer dans un contexte de récession et pourrait également s’accentuer dans un contexte où les rendements à court terme restent ancrés alors que les rendements à long terme augmentent. »
La courbe des taux inversée a commencé à se normaliser
Les valorisations actuelles peuvent constituer un point d’entrée intéressant, car les perspectives en matière de taux sont plus favorables. « Une nouvelle inversion de la courbe est probablement limitée et nécessiterait une nouvelle accélération de l’inflation, ce que nous considérons comme peu probable », ajoute M. Ng.
Les prix ont baissé pour plusieurs catégories de l’indice américain des prix à la consommation (une mesure de la variation moyenne dans le temps des prix payés par les consommateurs urbains pour un panier de biens et de services de consommation), y compris les voitures et les camions d’occasion, les hôtels et les billets d’avion. Dans le même temps, moins de catégories connaissent des augmentations de prix considérables. Ces tendances devraient se poursuivre, tandis qu’un nouvel assouplissement des marchés du travail pourrait entraîner un ralentissement durable de la croissance des salaires. La Fed pourrait se sentir moins poussée à maintenir les taux à un niveau élevé et pourrait abaisser son taux directeur s’il est perçu comme trop restrictif compte tenu du niveau de l’inflation.
Le moment du cycle où la Fed a fini de relever les taux a tendance à être un moment propice pour investir dans des obligations à duration longue. La duration est une mesure de la sensibilité d’une obligation aux taux d’intérêt, et est une caractéristique des obligations avec des échéances plus longues. « Si l’on étudie la fin des cycles de taux aux États-Unis, ces périodes ont généralement été positives pour les titres à revenu fixe et pour la duration », explique M. Ng.
Malgré des perspectives économiques incertaines, des rendements élevés au départ, combinés à une confluence de facteurs favorables, soutiennent actuellement les titres adossés à des créances hypothécaires (TACH) garantis et les obligations d’entreprises de qualité investissement (notées BBB/Baa et plus).
Selon M. Edmonds, au cours des dernières années, les valorisations des prêts hypothécaires à coupon élevé ont été particulièrement attrayantes à certains moments. Plus particulièrement, la crise des banques régionales au début de l’année 2023 a provoqué un élargissement spectaculaire des écarts de rendement par rapport aux bons du Trésor, avant de se réduire lorsqu’il est devenu évident que l’économie pouvait résister au choc de la crise.
« Le scénario des prêts hypothécaires est passé de peu attrayant à attrayant assez rapidement, il s’agit donc de saisir les occasions lorsqu’elles se présentent », explique M. Edmonds.
À l’horizon 2024, l’impact d’une réduction continue du bilan de la Fed pourrait devenir un sujet plus important, car la banque centrale a été insensible aux prix et a été le principal acheteur de titres hypothécaires au cours des dernières années. Néanmoins, l’inventaire et l’accessibilité des logements restent proches de leurs plus bas niveaux historiques, ce qui continuera à réduire l’offre de titres hypothécaires et, en retour, à soutenir les valorisations.
« En tant que titres bénéficiant d’une garantie implicite de l’État, les titres hypothécaires d’agences peuvent constituer un excellent moyen d’ajouter des revenus à un portefeuille sans prendre le risque de crédit lié aux actions et à d’autres actifs », explique David Betanzos, gestionnaire de portefeuille de titres à revenu fixe.
Par ailleurs, les obligations d’entreprises de qualité investissement bénéficient de bilans solides et de faibles besoins de refinancement. Dans un contexte de croissance modeste, les investisseurs pourraient percevoir le paiement du coupon sans trop de risque de baisse. Si l’économie ralentit et que les rendements des bons du Trésor diminuent, la duration plus longue du secteur par rapport à d’autres secteurs du crédit, tels que le rendement élevé, signifierait une appréciation potentielle des prix, qui pourrait compenser tout élargissement des écarts.
Dans l’ensemble, les obligations d’entreprises de qualité investissement peuvent constituer une base intermédiaire solide pour les portefeuilles. Si la Fed réussit un « atterrissage en douceur » et évite une récession, le crédit de qualité investissement devrait s’en tirer à bon compte. Et en cas de récession, la baisse des rendements, c’est-à-dire la diminution du rendement d’un pic à l’autre, devrait être atténuée par rapport à ce qui est attendu dans d’autres secteurs du crédit, en particulier les obligations moins bien notées.
De nombreuses entreprises de qualité investissement ne seront pas contraintes d’émettre de nouveaux emprunts tant que les taux d’intérêt n’auront pas baissé, car elles ont profité de l’environnement de faibles taux d’intérêt de l’époque de la pandémie pour sécuriser des financements à des taux attrayants et à des échéances longues. Par conséquent, l’offre restera probablement limitée, même si la demande d’investisseurs tels que les fonds de pension, les banques et les entreprises d’assurance se maintient.
Au sein de l’agitation entourant l’évolution des taux, il est facile de passer à côté des bons rendements que les obligations à rendement élevé ont affichés en 2023. La leçon : les obligations à rendement élevé (notées BB/Ba et moins) peuvent offrir un puissant potentiel de revenu.
Malgré le risque d’une baisse de la croissance des bénéfices et d’une diminution des flux de trésorerie pour de nombreuses entreprises en 2024 (en particulier celles qui ont des bilans à effet de levier) les obligations à rendement élevé se sont historiquement bien portées tant que la croissance économique reste positive. Même si les écarts par rapport aux bons du Trésor se creusent, avec des rendements de l’ordre de 8,4 %, la composante « revenu » peut être significative et se traduire par des rendements positifs.
Les besoins de refinancement de nombreuses entreprises à rendement élevé ont attiré l’attention des marchés, mais la plupart d’entre elles ne se heurtent pas à un « mur d’échéance » avant 2026, explique Tom Chow, gestionnaire de portefeuille de titres à revenu fixe. En outre, le profil de crédit global du secteur du rendement élevé s’est amélioré, car les entreprises ayant un effet de levier important se sont tournées vers le crédit privé pour se financer.
« Les investisseurs ont intégré une hausse des taux de défaillance, qui devraient se situer entre 4 % et 5 % en 2024 », explique Tom Chow. « Il s’agit vraiment d’une question de sélection du crédit », ajoute-t-il, notant que les technologies de l’information avec des revenus récurrents élevés et d’importants coussins de capitaux propres sont attrayantes dans cet environnement. Monsieur Chow est plus sélectif à l’égard des émetteurs notés CCC et inférieurs.
Les obligations en monnaie locale des marchés émergents sont moins vulnérables à la hausse des taux des marchés développés qu’auparavant. De nombreuses économies émergentes ont vu leurs tendances économiques s’améliorer. « Dans l’ensemble, les déficits budgétaires de plusieurs pays émergents ont été ramenés aux niveaux antérieurs à la pandémie ou en deçà », déclare Kirstie Spence, gestionnaire de portefeuille pour le Fonds Capital Group revenu multisectorielMC (Canada). Dans le même temps, avec le recul de l’inflation, les marchés émergents commencent à réduire leurs taux. La baisse des taux des marchés émergents, conjuguée à des fondamentaux décents, devrait soutenir les obligations en monnaie locale des pays émergents en 2024.
Le marché des obligations en devises fortes, libellées en dollars américains, est divisé entre les émetteurs de qualité investissement et ceux à rendement élevé. Les écarts sur certaines obligations à rendement élevé et de moindre qualité de crédit des marchés émergents ont eu tendance à s’élargir, mais ils sont déterminés par des facteurs spécifiques à chaque crédit, ce qui nécessite une analyse au cas par cas. De nombreux titres de qualité investissement offrent des revenus plus faibles, mais sont soutenus par des fondamentaux relativement solides.
Mme Spence privilégie une approche équilibrée qui consiste à détenir à la fois des émetteurs en monnaie forte et en monnaie locale : un portefeuille mixte peut bénéficier des profils de risque et des moteurs de rendement différenciés de chaque segment du marché. Historiquement, les rendements à terme sur deux ans ont été positifs lorsque les rendements atteignaient 6,7 % ou plus. Des rendements élevés au départ offrent un tampon contre toute volatilité que l’environnement macroéconomique et géopolitique mondial pourrait apporter en 2024.
La Fed en a probablement fini avec les hausses de taux d’intérêt. Bien que l’économie ait résisté jusqu’à présent et que l’inflation ait baissé par rapport à son pic, les effets de la campagne de resserrement se font encore sentir et les États-Unis ne sont pas sortis d’affaire.
Les taux élevés sont-ils là pour durer?
La fin du cycle de hausses signifie que les obligations pourraient bientôt revenir à leurs rôles de base, à savoir la fourniture de revenus et la diversification face aux baisses des marchés boursiers, explique M. Edmonds. « Ces dernières années ont été volatiles pour les investisseurs obligataires, mais nous avons atteint un tournant dans le cycle de la Fed où des baisses de taux pourraient se passer en 2024, ce qui donnerait un coup de pouce aux rendements obligataires. Même en l’absence de réductions, le potentiel de revenus est toujours possible. »
L’indice Bloomberg U.S. Aggregate Bond représente le marché américain des obligations à taux fixe de qualité investissement.
L’indice Bloomberg U.S. Corporate High Yield couvre l’univers de la dette à taux fixe qui n’est pas de qualité investissement.
L’indice Bloomberg U.S. Corporate High Yield 2% Issuer Capped couvre l’univers de la dette à taux fixe, qui n’est pas de qualité investissement. L’indice limite l’exposition maximale d’un émetteur à 2 %.
L’indice Bloomberg U.S. Corporate Investment Grade représente l’univers des débentures et des billets garantis de qualité investissement, émis publiquement par des entreprises américaines et certains pays étrangers, qui répondent aux exigences d’échéance, de liquidité et de qualité.
L’indice Bloomberg U.S. Mortgage Backed Securities est un indice pondéré en fonction de la valeur de marché qui couvre les titres adossés à des créances hypothécaires de Ginnie Mae (GNMA), Fannie Mae (FNMA) et Freddie Mac (FHLMC).
L’indice Bloomberg Municipal Bond est un indice pondéré en fonction de la valeur marchande, conçu pour représenter le marché des obligations de qualité investissement à long terme exonérées d’impôts.
L’indice J.P. Morgan Emerging Markets Bond (EMBI) Global Diversified est un indice de référence de la dette des marchés émergents à pondération unique qui suit le rendement total des obligations libellées en dollars américains émises par des entités souveraines et quasi souveraines des marchés émergents.
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